Deep Space @ HuffPost

Dans l’article “Sans Franco, que faire de la colossale Valle de los CaĂ­dos?” pour HuffPost, Anthony Berthelier dĂ©crit le projet “Deep Space: re-signifiant Valle de los CaĂ­dos” avec son approche crĂ©ative pour aborder l’histoire controversĂ©e et le patrimoine contestĂ©.

Publication Sans Franco, que faire de la colossale Valle de los CaĂ­dos?, Anthony Berthelier @ HuffPost, France, 24 October 2019

Comment
stopper
la gloire
du franquisme?

La plus grande croix catholique du monde, 30.000 corps de combattants et le tombeau d’un des plus rĂ©cents dictateurs d’Europe… la monumentale Valle de los CaĂ­dos, “vallĂ©e de ceux qui sont tombĂ©s” en français, vit une rĂ©volution ce jeudi 24 octobre. Sa toute premiĂšre depuis son inauguration par Franco le 1er avril 1959, jour du 30e anniversaire de la victoire des nationalistes sur les rĂ©publicains et l’instauration de la dictature.
AprĂšs de nombreux rebondissements, la justice espagnole a effectivement autorisĂ© l’exhumation du corps du dictateur Franco. Promise par le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez, elle s’est dĂ©roulĂ©e en fin de matinĂ©e.
La dĂ©pouille embaumĂ©e du dictateur est sortie de l’imposante basilique creusĂ©e dans la roche du mausolĂ©e. Le cercueil Ă©tait portĂ© par huit membres de sa famille dont son arriĂšre petit-fils Louis de Bourbon, cousin Ă©loignĂ© du roi d’Espagne Felipe VI et considĂ©rĂ© par les lĂ©gitimistes comme le prĂ©tendant au trĂŽne de France.
La dĂ©pouille de l’ancien militaire qui a dirigĂ© l’Espagne pendant 40 ans sera ensuite transfĂ©rĂ©e dans le petit cimetiĂšre du Mingorrubio, Ă  15km de Madrid, oĂč repose l’épouse du dictateur.
Sans lui, que va-t-il dĂ©sormais advenir de cette Valle de los CaĂ­dos? Cessera-t-elle d’ĂȘtre le lieu de pĂšlerinage de l’extrĂȘme droite et des nostalgiques du franquisme? Pourra-t-elle devenir le vĂ©ritable monument de la rĂ©conciliation du pays? Une telle transformation serait-elle seulement souhaitable?

Embarrassante Transformation

Comme le reste du pays, les historiens, responsables politiques et autres observateurs s’opposent sur la question. Grande de 150 mĂštres, la croix gigantesque voulue par Franco est non seulement visible Ă  des dizaines de kilomĂštres Ă  la ronde mais elle continue de profondĂ©ment diviser la sociĂ©tĂ©. La Valle de los CaĂ­dos est une “atteinte aux libertĂ©s et Ă  la dĂ©mocratie”, s’indignait Carlos JimĂ©nez Villarejo dans une tribune publiĂ©e en 2017.
L’ancien juge anticorruption, eurodĂ©putĂ© Ă©phĂ©mĂšre du parti Podemos, estime qu’aucune modification de ce lieu ӈ l’identitĂ© fasciste claire” ne pourrait permettre de rendre hommage Ă  l’ensemble des combattants de la guerre civile.
Mais pour d’autres au contraire, ce site devenu trĂšs touristique peut jouir de transformations afin de rĂ©pondre Ă  sa promesse initiale. “En faire un mĂ©morial coĂ»terait cher Ă  l’État espagnol qui n’a franchement pas besoin de davantage de dĂ©penses, mais on peut tout Ă  fait imaginer a minima un parcours didactique pour commĂ©morer et expliquer ce qui s’est jouĂ© pendant la guerre”, imagine l’historien Christophe Barret au HuffPost.
Mais c’est loin d’ĂȘtre la premiĂšre fois que l’avenir de la Valle de los CaĂ­dos est en suspens. En 2011, une commission d’experts mandatĂ©e par le gouvernement Zapatero avait recommandĂ© d’opĂ©rer une “resignification” du lieu en y ajoutant une exposition permanente sur son histoire, celle des victimes qui y sont enterrĂ©es et des prisonniers politiques ayant participĂ© Ă  sa construction.
Mais les socialistes avaient Ă©tĂ© chassĂ©s du pouvoir fin 2011 et leurs successeurs du Parti populaire (PP), qui considĂšrent que s’attaquer aux vestiges du franquisme revient Ă  rouvrir les blessures du passĂ©, avaient choisi d’ignorer ce rapport.

Gommer les aspects totalitaires?

“C’est une des grandes erreurs de la droite”, tranche d’ailleurs Christophe Barret auteur du livre La guerre de Catalogne aux Ă©ditions du Cerf, pour qui les indĂ©pendantistes de la rĂ©gion se servent de cette mĂ©moire pour tenter de faire sĂ©cession. Revenus aux affaires en 2018, avec Pedro Sanchez Ă  leur tĂȘte, les socialistes avaient fait de l’exhumation du dictateur une prioritĂ© en indiquant vouloir donner une nouvelle signification au mausolĂ©e pour qu’il ne soit plus un lieu d’apologie du franquisme, mais sans donner plus de dĂ©tails.
Plusieurs hypothĂšses sont aujourd’hui avancĂ©es. Outre une Ă©ventuelle exposition permanente, l’inscription de panneaux d’information tout au long de la visite, certains estiment que la meilleure maniĂšre de faire de cette vallĂ©e un monument de rĂ©conciliation du peuple serait d’en supprimer les aspects totalitaires.
Aux premiers rangs desquels la gigantesque croix de 200 tonnes ou encore les murs ornĂ©s de menaçantes statues d’archanges et de scĂšnes inspirĂ©es de l’Apocalypse biblique. “Un style assez glacial”, estime Christophe Barret.
Un think tank indĂ©pendant, composĂ© d’experts et architectes du monde entier, se proposait au printemps dernier de justement “repenser” le site dans un esprit fĂ©dĂ©rateur. “Il n’y a aucune information sur les prisonniers de guerre victimes de travail forcĂ© ni sur les morts tombĂ©s cĂŽtĂ© rĂ©publicain transfĂ©rĂ©s des fosses communes sans le consentement de leurs familles”, se dĂ©solait l’urbaniste instigatrice du projet Elizabeth Sikiaridi Ă  Franceinfo.

Comment stopper la gloire du franquisme?

Si le collectif n’a finalement pas reçu de financement de l’État, Ă  l’heure actuelle, il prĂŽnait la mise en place d’“outils numĂ©riques innovants” pour connecter les visiteurs Ă  l’histoire du lieu et Ă  de ceux qui sont tombĂ©s pendant la guerre.
Car ce que beaucoup dĂ©plorent, avant tout, c’est que le monument est aujourd’hui tel que l’avait imaginĂ© et rĂȘvĂ© le dictateur Franco. “Rien n’a changĂ©, c’est donc de fait un monument Ă  la gloire de ‘Croisade’”, comme l’avait dĂ©signĂ© le dictateur. BĂąti entre autres par des prisonniers politiques du Caudillo, ce monument a d’abord accueilli les soldats nationalistes avant que Franco dĂ©cide d’y intĂ©grer des corps de rĂ©publicains.
Seulement les deux camps ne sont pas sur le mĂȘme pied d’égalitĂ© dans l’ensemble que forme la Valle de los CaĂ­dos. “Les nationalistes y sont enterrĂ©s avec les honneurs et surtout l’accord de leurs familles. Les rĂ©publicains ont Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©s eux, dans des fosses communes sans qu’on demande Ă©videmment l’accord de qui que ce soit”, explique Christophe Barret au HuffPost. Que faire, donc, de ces corps enterrĂ©s qui voient dĂ©filer des milliers de nostalgiques du franquisme chaque annĂ©e?
C’est une des nombreuses rĂ©ponses auxquelles la nouvelle commission de rĂ©conciliation mise en place par Pedro Sanchez devra rĂ©pondre. En attendant, militants fascistes et autres touristes sont bloquĂ©s en contrebas du monument polĂ©mique. Et ce pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e aprĂšs l’exhumation du corps de Franco.
Ils peuvent nĂ©anmoins se consoler avec l’Escurial situĂ© Ă  quelques kilomĂštres de lĂ . Bien moins mĂ©galomane et monumental que la Valle de los CaĂ­dos, ce monument de la Renaissance classĂ© au patrimoine mondial de l’Unesco abrite notamment la tombe de Charles Quint, le souverain Ă  l’empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais.